lunes, 3 de mayo de 2010

Etcétera

Chronologie ·

par Bernard Gauthier et Alexandre Gefen

1867: naissance de Marcel Schwob à Chaville le 23 août. Son père, George Schwob, est proche de Théodore de Banville et de Théophile Gautier, participa au Corsaire Satan de Baudelaire, et signe avec Jules Verne une pièce de théâtre ; mêlé au mouvement fouriériste, il vécut dix ans en Egypte comme chef du cabinet du ministre des affaires étrangères.

Sa mère, Mathilde Cahun, est issue d’une famille d’origine alsacienne, remontant jusqu’à selon une légende familiale jusqu’à saint Louis (Caym de Sainte-Menehould, que Joinville avait emmené outremer). Les Cahun forment une longue lignée d’intellectuels juifs (l’arrière-grand-père de Marcel, Anselme Cahun, fut président du Consistoire israélite au temps du Concordat), dont la très haute culture et le patriotisme feront toujours l’orgueil de Marcel.

1876: la famille se fixe à Nantes, où George Schwob acquiert le Phare de la Loire, principal journal républicain de la région. Les parents donnent à leurs enfants gouvernantes anglaises et précepteurs allemands : Marcel manifestant une étonnante précocité, dévore aussi bien des grammaires comparées que les contes d’E. Poe et maîtrise l’allemand et l’anglais dès l’âge de dix ans. Très bon élève, il publie à onze ans dans le journal de son père son premier article, consacré à Un Capitaine de quinze ans de Jules Verne.

1881-1882: Marcel Schwob part à Paris pour y faire faire ses études, et réside chez son oncle Léon Cahun à la Bibliothèque Mazarine. Le séjour est déterminant pour la vocation littéraire du jeune homme : bibliothécaire en chef de la Mazarine, Léon Cahun a rapporté de ses voyages en Asie Mineure, en Syrie et sur les bords de l’Euphrate des romans historiques et d’aventures documentés : Les Aventures du capitaine Magon, La bannière bleue, les Pilotes d’Ango, les Mercenaires, Hassan le Janissaire. « Son oncle Léon Cahun, que l’on appelle simplement un orientaliste mais dont l’érudition était universelle et auquel il faudra bien rendre, un jour, la justice qui lui est due » (Apollinaire) transmet à son neveu tant le goût de l’ethnologie que celui de l’archive et lui fait lire Villon et Rabelais.

Schwob suit les cours au Lycée Louis-Le-Grand où il fait la connaissance de Léon Daudet et de Paul Claudel qui demeurera son fidèle ami. « Déjà érudit mais dédaigneux du programme », selon les mots de Léon Daudet, il se distingue en latin, en anglais et en allemand, lit Shopenhauer, traduit Les Derniers jours d’Emmanuel Kant de Thomas de Quincey.

1883-1884: Schwob étudie la philologie et le sanscrit à l’Ecole des Hautes Etudes; il, entreprend de premières traductions (Catulle) et de nombreux poèmes (dont un Faust et un Prométhée, qu’il abandonnera) et s’essaye à des genres et des registres extrêmement variés, allant du conte merveilleux à la nouvelle naturaliste.

Découverte de Robert Louis Stevenson. Recalé au baccalauréat en juillet 1884, Schwob s’intéresse à la Rome antique, à ses bas-fonds, sa pègre et sa prostitution, en préparation d’un long récit qui deviendra Poupa, scène de la vie latine, son premier conte historique.

1885-1886: après avoir obtenu le baccalauréat, Schwob devance l’appel et effectue son service militaire à Vannes, au 35e régiment d’artillerie. Expérience vécue douloureusement, l’armée offre néanmoins à Schwob un immense champ d’enquête sociologique et ethnologique, qui sera exploité dans Cœur Double. Au contact des milieux populaires, Schwob découvre notamment la richesse et la complexité de l’argot parlé et s’exerce même à la rédaction d’un recueil de poèmes argotiques inspirés de Vidocq et de Lacenaire, la Lanterne rouge, où apparaît l’ombre de Gérard de Nerval.

1887-1889: échec au concours d’entrée à l’Ecole normale supérieure, mais réussite brillante à la licence. En Sorbonne, Marcel lit Aristote et Spinoza et découvre la philosophie continuiste professée par Émile Boutroux, pour lequel la contingence historique peut se résorber en un jeu à sommes nulles. La doctrine mystique selon laquelle la conscience peut « par la perception immobile d’un seul objet, supprimer le temps et créer l’éternité intensive » imprégnera les cycles historiques de la Légende des Gueux et des Vies imaginaires.

Schwob suit également à l’École des Hautes Études les cours des linguistes Ferdinand de Saussure et de Michel Bréal. La conception saussurienne du signe individuel comme faisant partie d’un système organisé et autonome transparaîtra dans la préface au Roi au Masque d’Or, qui transpose dans le vocabulaire de la linguistique comparée la doctrine Symboliste.

Rédaction d’une Etude sur l’argot français avec son ami Georges Guieysse, où Schwob défend l’idée que l’argot est le contraire d’une langue spontanée, mais une langue artificielle et codée ; il s’intéresse tout particulièrement à l’élucidation de l’œuvre de François Villon, qui demeurera sa grande passion, et dont la personnalité mystérieuse le fascine. Georges Guieysse se suicide quelques jours après la publication de l’étude.

Schwob publie dans le journal de son père une série de « notes sur Paris » (sur la chanson populaire, les bals publics, la vie de brasserie), et des articles critiques, en particulier sur Robert-Louis Stevenson avec qui il entame une correspondance. Publication des Trois Gabelous (Cœur Double) dans le Phare de la Loire.

1890: Schwob effectue des recherches aux Archives Nationales sur les documents du XVe siècle et met au jour avec l’historien Auguste
Longnon des documents essentiels sur la vie de Villon. « Il s’est épris des étranges malfaiteurs du moyen âge, des coquillards mystérieux, des redoutables mauvais garçons, de tout ce peuple souterrain qui composait « les classes dangereuses », aux mœurs singulières, aux coutumes peu
connues, à la langue attachante », note Bernard Lazare ; recherche qui aboutit, en 1892, à la publication dans la Revue des deux mondes d’une importante biographie de François Villon. Ces travaux, déterminants, furent l’objet de violentes attaques antisémites de Drumont dans la Libre parole.

Il s’installe rue de l’Université, dans un entresol encombré de livres dont l’étrangeté fascinera tous ses visiteurs. Correspondance avec le critique hollandais Byvanck, qui enquête sur la littérature contemporaine française, et collaboration à différents journaux : à Nantes le Phare (et le Petit Phare), auxquels il adresse des contes, des portraits, mais aussi, plusieurs fois par semaine, de petits éditoriaux sur les événements du jour ; et surtout à Paris, à l’Echo de Paris où publient Jean Lorrain, Octave Mirbeau, Remy de Gourmont, Guy de Maupassant, Jules Renard, Anatole France.

1891-93: Schwob prend la direction avec Catulle Mendès du supplément littéraire de l’Echo de Paris et devient un personnage important du monde littéraire parisien. Rencontre avec Jules Renard, dont il restera proche, qui le décrit en ces termes : « Schwob n’a pas vingt-quatre ans. Il en porte 30. Il a été refusé à l’École Normale par de la Coulonche, pour le discours français évidemment. Il a été reçu premier à la licence, avant les normaliens qui s’étaient présentés à Normale en même temps que lui. Il n’a jamais écrit une ligne qui ne fût payée, et il est entré à l’Événement, en écrivant de province, à Magnier, pour lui offrir de faire des chroniques. Il a le mépris des cheveux et se fait presque raser la tête. C’est un journaliste du genre savant et de l’espèce rare, un travailleur qui veut des choses, qui croit à des choses, méprise des choses; un indéchiffré encore pour moi » (16 février 1891).

Publication de Coeur double (1891), dédié à Stevenson, puis du Roi au masque d’or (1892), qui recueillent des contesà dominante fantastique.

« Marcel Schwob lit ses contes dans la petite chambrede la rue de l’Université, d’un ton péremptoire, d’une voix blanche ; sesauditeurs demeurent sous le magnétisme du regard illuminant le front de ce gros petit homme, à la figure douce et poupine, virgulée par la moustache chinoise qu’il portait alors » (P. Champion). « Il pense que nous arrivons tard et qu’il ne nous reste qu’une chose à faire après nos aînés: bien écrire », note Jules Renard.

En compagnie de Byvanck il rencontre Rodin, Catulle Mendès, Allais, Aristide Bruant, Verlaine, Renard, Monet, Barrès (de cette série d’entretiens naît Un Hollandais à Paris en 1891, publié en avril 1892 et préfacé par Anatole France). Schwob fréquente André Gide, Jean Lorrain, Georges Courteline, Octave Mirbeau, Oscar Wilde qu’il accompagne dans les salons parisiens. Il défend la première pièce de Claudel, Tête d’or, fait publier l’Ecornifleur de Renard.

Mort de George Schwob.

1893-94: Schwob s’intéresse au théâtre et notamment à l’œuvre d’Henrik Ibsen, sur laquelle il prononce plusieurs conférences. Il participe au Mercure de France, corrige Salomé d’Oscar Wilde et Pelleas
et Mélisande de Maeterlinck et soutient Jarry. Il publie Mimes, supercherie érudite prenant forme d’un recueil de poèmes en prose présentés comme traduits du grec ancien.

Il fréquente le salon de Mallarmé et Paul Valéry, avec qui il se liera d’amitié et fait la connaissance de Colette, qui devient une amie proche.

Mort de Louise, atteinte de la tuberculose, le 7 décembre 1893, à l’âge de 25 ans. Jeune ouvrière à l’esprit enfantin qui se prostituait, Louise fut à Schwob ce que Ann fut à Thomas de Quincey. « J’ai pour maîtresse une toute petite fille qui est bien bête, mais si gentiment » (Journal de Jules Renard, 17 mars 1891).

Profonde dépression qui frappe tous ses amis « Schwob va vers la mort, et lui parti, je reprends mes soucis journaliers, ma vie puérile » ; « et nous égoïstes, nous étions agacés par cette façon de souffrir si longtemps à cause d’une morte » (Journal de Jules Renard, 6 mars et 30 mai 1894).


Évangile mystique et nihiliste narré par une enfant, le Livre de Monelle, « chef-d’oeuvre de tristesse et d’amour » (Gourmont), paraît à l’été 1894.

Premiers symptômes d’une maladie intestinale, dont Schwob tentera d’apaiser les douleurs par l’opium et l’éther.

Schwob se consacre notamment à la traduction d’auteurs anglais qu’il admire depuis l’enfance. Chez ses amis à dîner il apporte « son plat à lui », un livre anglais qu’il ouvre et traduit devant eux : un roman inconnu de Daniel Defoe, Moll Flanders.

1894-1895: Pour consoler Schwob de son deuil, Léon Daudet l’emmène en Hollande et en Angleterre, où ils rencontrent l’écrivain George Meredith. À son retour, il s’établit rue Vaneau, lisant jour et nuit, en particulier des histoires de flibustiers et de corsaires.

En juillet 1894, il annonce dans le Journal le cycle des Vies imaginaires, conçues comme la « vie de certains poètes, dieux, assassins et pirates ainsi que de plusieurs princesses et dames galantes ».


En novembre il prononce une conférence sur Annabella et Giovanni, une pièce du dramaturge élisabéthain John Ford qu’il a fait redécouvrir, et qui est représentée au Théâtre de l’Œuvre dans une traduction de Maeterlinck.


Rencontre avec la jeune actrice Marguerite Moreno, dont il tombe éperdument amoureux. Il l’épousera en 1900 à Londres.

Publication de la traduction de Moll Flanders. Dans le Journal paraissent, parallèlement aux Vies, les textes qui formeront la Croisade des enfants.

1896: alors que paraissent en volumes la Croisade des enfants et les Vies imaginaires, Schwob est hospitalisé dans la clinique du docteur Albarran. Il est opéré pour la première fois d’un mal mystérieux, qui sera diversement diagnostiqué. Il subira quatre autres opérations, qui le laisseront dans l’état d’un « chien vivisectionné », à la merci de la morphine.

Parution en volume de La Croisade des enfants, récit polyphonique inspiré d’une légende médiévale (le texte sera plus tard adapté musicalement par Gabriel Pierné) et des Vies imaginaires. Les critiques saluent un héritier du Nerval des Illuminés et du Flaubert de Salamnbô et de la Tentation.


Schwob publie également un recueil de ses principales préfaces et articles théoriques sous le titre Spicilège, et fait publier au Mercure de France Ubu roi de Jarry, qui lui est dédié.

1896-1900: Schwob déménage à de nombreuses reprises ; Il fréquente Gourmont, Mirbeau, Rodin, rencontre Montesquiou, qui lui offre un chat noir, et Marcel Proust, auquel il prête un livre.

À l’exception d’un conte, L’Étoile de bois, qui sera sa dernière oeuvre de fiction, Schwob travaille surtout pour le théâtre. Il traduit avec Eugène Morand Hamlet de Shakespeare: la pièce est jouée en 1899 par Sarah Bernhardt et entreprend également une pièce de théâtre, Jane Shore, qui ne sera jamais jouée.

Engagement journalistique pour défendre Dreyfus, qui lui vaut une rupture avec Léon Daudet et Paul Valéry.

1900-1901: Schwob se cloître en compagnie d’un chinois lettré, Ting-Tse-Ying, qu’il a recueilli à la fermeture du pavillon chinois de l’Exposition universelle, et qui lui sert de domestique, et reprend son projet d’un grand livre sur François Villon, qu’interrompt une nouvelle fois la maladie. Il s’éloigne d’André Gide après la parution des Nourritures terrestres, lui reprochant d’avoir plagié le Livre de Monelle, mais se lie avec Francis Jammes.

Après des séjours pénibles à Jersey en compagnie des marins et de Marion Crawford, et un voyage thérapeutique à Uriage, Schwob s’embarque en octobre 1901 pour les mers australes et Samoa, sur les traces de Stevenson, qui y était mort en décembre 1894; il passe par Suez et Port-Saïd, Aden, Ceylan, l’Australie, adressant des lettres à Marguerite qui forment un journal de voyage à la fois pittoresque et intérieur. Il parvient en décembre à Samoa, où il devient sous le nom de « Maselo » un « tulafale », un conteur public autour duquel s’assemblent les Samoans.

Atteint d’une violente pneunomie en janvier, il rembarque aussitôt.

1901-1905: à son retour, il traduit Macbeth, de Shakespeare, qu’il va lire à Sarah Bernhardt, et Francesca da Rimini, de Francis Marion Crawford.

Publication en mai 1903 des Mœurs des diurnales, satire féroce du langage journalistique. Schwob s’installe rue Saint-Louis-en-l’Isle où il reçoit notamment Pierre Louÿs, Apollinaire et Henri de Régnier ; Paul Léautaud se propose pour être son secrétaire. Lorsque sa santé lui permet de se
rendre à la Bibliothèque Nationale, Schwob travaille à son « grand livre » sur François Villon qui restera inachevé.

En décembre 1904, Schwob commence un cours à l’École des Hautes Études auquel assisteront notamment Catherine Pozzi, André Salmon, Max Jacob et Picasso. « Je revois la petite salle étroite, ayant pour tout mobilier une table de bois blanc et quelques chaises. Au dernier moment, on allume un fourneau à gaz. Marcel Schwob entre, blanc comme un cadavre. On lui met, sous les pieds, une bouillotte d’eau chaude ; il boit une gorgée d’eau, et d’une voix douce, si basse qu’elle ne dépasse guère les premiers rangs des chaises occupées une demi-heure à l’avance par ses admirateurs, il évoque Paris et Villon » (J. Clarétie).

Malgré, ou à cause de son état de santé, il séjourne en 1904 au Portugal, en Espagne et en Italie, puis en Suisse. Nombreux projets littéraires (une étude sur Dickens et le roman russe, une légende de Saint François d’Assise, un drame inspiré des Filles du Feu) qui resteront inachevés à l’exception des brefs « Dialogues d’Utopie » et de Il Libro della mia memoria, évocation de ses lectures d’enfance entremêlée de poésie mystique, qui paraît dans Vers et prose de Paul Fort.


Alors que Marguerite Moréno est en tournée, Marcel Schwob meurt d’une grippe le 26 février 1905, à l’âge de 37 ans. « Le lieu commun est vrai, note Léautaud devant sa dépouille, il avait bien l’air de dormir ».

Biografía


Marcel Schwob

(Chaville, Seine-et-Oise, 1867-París, 1905) Escritor francés. Autor de dos colecciones de cuentos (Corazón doble, 1891 y El rey de la máscara de oro, 1893), de poemas en prosa (El libro de Monelle, 1894; Mimos, 1894), etcétera.

domingo, 2 de mayo de 2010

"La science historique nous laisse dans l’incertitude sur les individus. Elle ne nous révèle que les points par où ils furent attachés aux actions générales. Elle nous dit que Napoléon était souffrant le jour de Waterloo, qu’il faut attribuer l’excessive activité intellectuelle de Newton à la continence absolue de son tempérament, qu’Alexandre était ivre lorsqu’il tua Klitos et que la fistule de Louis XIV put être la cause de certaines de ses résolutions. Pascal raisonne sur le nez de Cléopâtre, s’il eût été plus court, ou sur un grain de sable dans l’urètre de Cromwell. Tous ces faits individuels n’ont de valeur que parce qu’ils ont modifié les événements ou qu’ils auraient pu en dévier la série. Ce sont des causes réelles ou possibles. Il faut les laisser aux savants.
L’art est à l’opposé des idées générales, ne décrit que l’individuel, ne désire que l’unique. Il ne classe pas ; il déclasse. (...)

L’art du biographe serait de donner autant de prix à la vie d’un pauvre acteur qu’à la vie de Shakespeare. C’est un bas instinct qui nous fait remarquer avec plaisir le raccourcissement du sternomastoïdien dans le buste d’Alexandre, ou la mèche au front dans le portrait de Napoléon. Le sourire de Monna Lisa, dont nous ne savons rien (c’est peut-être un visage d’homme) est plus mystérieux. Une grimace dessinée par Hokusaï entraîne à de plus profondes méditations. Si l’on tentait l’art où excellèrent Boswell et Aubrey, il ne faudrait sans doute point décrire minutieusement le plus grand homme de son temps, ou noter la caractéristique des plus célèbres dans le passé, mais raconter avec le même souci les existences uniques des hommes, qu’ils aient été divins, médiocres, ou criminels"

Marcel Schwob